Jean-Pierre Dirick, itinéraire d´un auteur de BD

Jean-Pierre Dirick débute comme auteur de dessins pour le magazine Chouette, de son ami Jean-Paul Steiger, puis pour Animaux Magazine, le périodique de la SPA.
Mais son engagement même en faveur des animaux l'aiguille sur des voies surprenantes. Ainsi, s'il collabore à Pistil, revue écologiste de BD de la fin des années 1970, ce n'est pas pour y donner des planches clairement militantes, mais pour y faire paraître Le Grand Inutile, une série allégorique déconcertante où les problèmes planétaires urgents de l'environnement sont présentés comme le résultat
de la folie des hommes (ou de l'espèce dominante en tenant lieu), et, singulièrement, de ses dirigeants.
Jean-Pierre Dirick ne cessera, dès lors, de montrer le caractère destructeur du psychisme, perturbé par les problèmes relationnels qui tourmentent et aliènent les individus, au point de faire d'eux des êtres pitoyables, lors même qu'ils jouissent d'un statut de personnage historique (La Psychanalyse de l'Histoire de France), ou de personnalité médiatique (Psychanalyse de la Télévision, Télénoïa,
Psychanalyse du Show-Biz). Et les hommes projettent ce mal-être existentiel dans leurs fictions mêmes, comme en témoigne Le Divan de la BD. 

Est-ce à dire que Dirick nous inflige une vision noire de l'existence ? Nullement. Loin de nous déprimer, Les aventures du Grand Inutile et les Psychanalyses du Docteur Psy nous amusent. Et c'est avec humour que, dans Lucien Crampon, Dirick nous présente la psychologie humaine comme un mécanisme sujet à toutes les manipulations. Et c'est sans doute cette sensibilité à ce caractère
mécanique de notre fonctionnement mental qui lui a permis de multiplier, pendant onze ans (1982-1993) Les énigmes de Tim, dans le « Journal des Jeux » de Pif Gadget.
A cet humour, Dirick donne libre cours dans sa série la plus connue, Inspecteur Klebs, dont le premier album paraît en 1990. Inversant la hiérarchie hommes/ animaux, Dirick y aborde les problèmes les plus divers (maltraitance animale, utilisation maléfique de la science, malbouffe, insécurité, sectes) en montrant leur interdépendance et leur caractère de conséquence d'une société en pleine
décrépitude, où les malfaisants habiles se donnent dangereusement libre carrière.
Ne cessant jamais de nous surprendre, Dirick nous fait faire, depuis 2015, un saut de deux siècles dans le passé avec Napo et nous, série dont les héros sont Napoléon et les soldats de sa Grande Armée, mais qui n'a rien d'une BD historique : il s'agit, au contraire, de nous montrer que l'empereur et ses contemporains étaient des hommes comme nous, minés par les mêmes problèmes existentiels
et moraux. Ces derniers sont éternels, comme la nature humaine elle-même. En définitive, Jean-Pierre Dirick est un humoriste, qui traite de problèmes graves avec drôlerie. Son graphisme même, étonnamment souple et apte à exprimer le mouvement, balaie tout désespoir. Une invitation à réfléchir sur notre destin tout en s'amusant.